alexandra bitouzet
Je ne veux plus vous parler, je ne veux plus rien avouer, vos conclusions hâtives ont fait de moi cette femme craintive. Regardez-moi, puisez au fond de mes yeux l'histoire qu'il vous plaira, je n'avouerai rien, même sous la torture, je n'acquiescerai rien, même pas un murmure. Je n'ai plus envie de vous connaître, je veux juste disparaitre. Oubliez-moi, oubliez que vous m'avez connu, oubliez mon existence, oubliez mon passé, ce que je vous ai raconté. Et inventez, inventez pour moi, sans mon autorisation. Et parlez. Jacassez. Bavassez. Décevez-moi encore un peu. Vous y êtes presque. Je fermerai les yeux et j'oublierai jusqu'à votre existence. Je ne vous entendrai plus. Vous disparaitrez et quand parfois je penserai à vous, j'omettrai certains détails, par instinct de survie. Mais jamais je n'oublierai la peine que cause les préjugés.
Reine Luccine...
Elles partent toujours trop tôt, quoi qu'on en dise et même si ça semble tard, c'est toujours trop tôt. On n'y pense pas tant qu'elles sont là, on se dit qu'on a le temps, le temps de leur parler, le temps de les aimer, le temps de nous consoler, le temps de savoir pourquoi, comme si elles détenaient la clé de tous nos maux. Elles ont quelque chose d'inexplicable, une odeur de talc ou de violette qui revient quand on ne s'y attend pas. La douceur de leur voix qui résonne même quand elles ne sont plus là. La mienne aimait les éléphants, par dessus tout. Elle avait une collection sur le buffet en cerisier. Une dizaine. Peut-être plus. Je n'ai jamais compté. Dans les troupeaux, le guide est une vieille femelle que ses congénères suivent aveuglement. Et j'ai compris. Sans mot, sans elle, j'ai compris qu'elle me montrait le chemin. Avancer. Et puis, un jour, partir. Sans rien dire, en silence, sans se plaindre. Je sais qu'elle est là, dans mon corps, dans mon sang, dans mon nom. Mamie, Grand-mère, Mémé, Abuela, Granny. Peu importe le nom qu'on leur donne, peu importe le temps qu'on leur réserve, peu importe qu'on leur dise je t'aime. Elles sont là, comme l'étoile qui veille sur nous, là-haut, tout là-haut. Il suffit juste de lever les yeux et de penser à elles.
Je t'ai trouvé beau, à peu près tout de suite. Beau. Brillant. Et par dessus le marché, foutrement sexy. J'ai rien dit à personne et en secret, je pensais à toi. Le matin, le midi, le soir et parfois même, la nuit. Je posais une main sur ma bouche, je mordais dedans, dans la chair, dans la peau, très fort et j'y laissais les crocs. Mon autre main, je la laissais faire et c'était comme si, oh oui, comme si, dans le lit, sous les draps, tu étais avec moi.
Je ne pensais qu'à ça, à peine rentrée du bureau, j'allais m'allonger et je mordais l'oreiller. Et jusqu'à quatre fois par jour, je pensais à toi. De plus en plus fort, jusqu’à ce que ça fasse mal à l’intérieur de mon corps. Je prononçais ton prénom et tu n’étais pas là. Je le chuchotais dans le creux dans ton absente oreille. Je nous ai imaginés dans toutes les positions de nos horizons plausibles.
Puis j'ai réalisé que tu ne pensais pas, toi, à moi. Même pas deux fois par jour. Même pas une fois. Même pas une fois par semaine. Peut-être même pas par mois. Alors j'ai commencé à te chercher des défauts. Et j'en ai vite trouvé.
Finalement, t'es pas si beau. Sans aller jusqu’à dire que t’es moche. Mais bon, tu casses pas trois lattes sur un connard. Tes mains, j’osais pas te le dire, j’avais tout juste remarqué, mais tes mains, elles ont l'air d'être faites pour laver les assiettes. Pis t'es pas si carré, t'es plutôt dans le genre hexagonal ! Limite biscornue. Et tes yeux, bon, c’est vrai, y a le compte, ils sont deux, mais je sais pas, je les voyais plus parallèles que ça, non ? Je ne comprends pas ce qui m'a pris de penser à toi matin midi et soir et parfois même la nuit.
Parfois, on croit que. Et puis finalement non.