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​​Les Hésitations d'une mouche

Numéro 61

Couverture de Lili 

Divorce.

Le chien. La crevure. Il te quitte. Et en plus, t’es enceinte. L’infâme porc. T’es sonnée par la nouvelle. Prendre une décision, vite. IVG ? Pas IVG ? Consentement mutuel ? Pension alimentaire ? Combien ? Combien tu veux putain ? Tout s’est passé si vite. T’as rien vu venir. En cinq jours, c’en était fini du bébé. Tu saignes beaucoup. Sensation de vide. Il manque quelque chose à l’intérieur. Un bébé bien sûr, mais pas seulement. C’est de tes tripes que tu as avorté. Tu viens d’expulser ce qu’il restait d’humain en toi. Tu saignes et tu défèques. Tu te chies dessus. Littéralement. En sortant le minuscule corps, l’infirmière l’a déchiré en deux, oubliant l’autre morceau dans ton utérus. On te conseille un accompagnement psychologique. Une année au moins. T’as eu la garde de ton ainé. Secoue-toi. 

T’as le regard qu’est déjà loin, on sent que la vie n’est plus tout à fait là. Tu répands ta blessure, elle suppure. Tu ne parviens pas à cacher ta rage quand tu regardes le monde rire à coté de toi. Tu cherches ta place, t’en veux aux autres d’être heureux, d’être deux, de s’aimer. Les questions font des pirouettes dans ta tête, ça fuse, ça s’agite et ça gicle. Tu sais plus à quoi ça ressemble ; le bonheur. Tu doutes, tu pleures, tu cries. Tu t’endors en te serrant très fort dans les bras. Tu simules une vie de couple pour effleurer la normalité. Et quand tu te réveilles, y’a plus personne au fond de ton lit. Alors tu pleures encore. Tu crois en crever. T’arrives pas à supporter l’abandon. Ça fait mal au fond de toi, t’évites d’y penser, tu te concentres sur l’essentiel, t’oublies ta souffrance, t’oublies tes douleurs, tu t’oublies. Pour aller mieux, tu penses à ton môme. T’as les yeux chagrins un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires...

Pendant toutes ces années, un à un, je vous ai portés, nourris, lavés, soignés. Mes tout petits, vous n’êtes qu’à moi, vous ne pouvez plus me quitter. Je m’y opposerai farouchement et d’ailleurs, vous n’en aurez jamais l’occasion. Après tout ce que j’ai fait pour vous, vous ne pouvez pas me faire ça.


Pierre a été le premier de vous tous. J’avais passé une fin de grossesse fatigante dans la douceur de l’automne. Accoudée à une table, j’inspirais profondément et soufflais autant que je le pouvais. Et je souffrais. En silence. Je pensais à cette rencontre imminente avec mon petit. La perception de la douleur prenait alors une toute autre dimension. Chaque contraction me rapprochait de lui. La perte des eaux n’avait fait qu’accentuer ce délicieux supplice. Je m’étais calée dans mon lit, prête à affronter seule ce dont la nature m’avait dotée. Tel un animal. Je me suis mise alors à pousser. Je touchais et sentais une protubérance entre mes cuisses. Je poussais encore. Plusieurs fois et le tirais vers moi...

LES HESITATIONS D'UNE MOUCHE, 
Numéro 73

 

 

La femme du cul-terreux.

 

 

 

Je suis la femme d'un cul-terreux. En ce moment, c'est les betteraves. Ça veut dire qu'il les arrache. Avant d'être avec lui, j’étais la femme d’un autre homme, un directeur, mais il m’a quittée, un matin, comme ça, pour une fille plus jeune que moi. J’avais vingt-quatre ans et j’étais déjà trop vieille. Les cul-terreux, eux, ils naissent vieux alors mon âge n’a jamais posé de problème à mon second mari. Avant je croyais que le sucre poussait sur des cannes à sucre, je me servais un café, j’y foutais deux carrés, je touillais et je buvais. Il s'est un peu moqué de moi mais lui ne savait pas qui était Françoise Sagan. Un partout. La balle au centre. Finalement, le sucre s'extrait des betteraves à sucre. De grosses betteraves blanches. Je ne savais même pas que ça existait. A la campagne, certains les confondent avec des patates, entassées sur le bord de la route. Le matin, très tôt, le tas fume mais j’ai oublié pourquoi. Tout ça, c’est mon cul-terreux de mari qui me l’a appris. Mais il n’a jamais voulu lire Françoise Sagan(...)

 

Madonna est aux abois.

 

Tu as reçu un sms ce matin. Il était très tôt et le numéro n’était pas dans ton répertoire. Tu as à peine regardé les chiffres. Tu as à peine lu ce qu’il contenait. Tu t’es imprégnée du mot décédée. Tu as mis quelques secondes à comprendre. Le message disait maman est décédée mercredi. Mais ta sœur ne s’appelle pas Sophie et ton frère n’est pas Vincent. Et Vincent est déjà mort. Alors tu as compris. Trois. Quatre secondes peut-être, il t’a fallu. Mimi est décédée et il ne reste rien maintenant(...)

 

 

 

 

Recueil collectif, 

16 nouvelles autour de la désobéissance.

16 lauréats du concours de nouvelles 2015 des Editions du Basson.

 

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Polichinelle

 

Elle n’en voulait pas. De ce qu’on m’a dit, elle n’en voulait pas. D’ailleurs, elle ne s’en est jamais cachée. Elle tapait dessus si fort, qu’à la fin, elle était tout essoufflée. Mais rien n’y faisait, la chose s’accrochait. La vie, elle la voulait. Mais je n’étais pas là, je ne fais que répéter ce qu’on a bien voulu me raconter. Parce que bien sûr, il y a des choses que je ne saurai jamais. Je peux comprendre. Je n’ai pas le choix. 

 

Quand elle s’en est aperçue, il était déjà trop tard, la chose avait poussé bien plus qu’elle ne l’avait imaginée. S’était déployée en long en large, jusqu’à déplacer ses côtes et bientôt son bassin. Taper ne servait plus à rien. Pour autant, elle n’en voulait quand même pas. C’était sa première fois et elle était bien trop jeune pour ça. Ses parents ne lui pardonneraient pas.

 

(...)

 

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Qui a bu boira. 

 

 

J’ai enfin décroché. Ouais messieurs dames, j’ai enfin décroché. Une semaine que je n’ai pas bu une seule goutte d’alcool. Une semaine toute entière que je n’ai pas non plus fumé un seul pétard ni bouffé un seul cacheton. Je me sens clean comme pas possible. J’ai rajeuni d’au moins 10 piges en une semaine. C’était fastoche, hormis les cauchemars et le fait que j’ai nagé 3 nuits dans ma propre sueur. Mais je n’aurais pas cru que ça aurait été fastoche à ce point. J’ai enfin décroché, ouais messieurs dames. Je ne sais pas pourquoi toutes ces années j’ai autant bu, autant fumé, autant gobé. Je ne sais pas pourquoi toutes ces années, sans tout ça, je croyais tomber cinglé. C’est ma femme qui m’y a poussé. C’était le deal après que je lui ai collé une beigne le week-end dernier. J’ai déjà du bol qu’elle ne m’ait pas foutu dehors et franchement j’estime être un gars chanceux, au moins sur ce coup-là. Pour le reste, c’est vrai qu’il faut la supporter, elle et ses quatre-vingt quinze kilos d’amour. Elle et son obsession de faire quelque chose de son existence. Moi, ce que j’aime, c’est me laisser vivre et je me dis souvent que c’est à cause d’elle si je suis devenu un sale toxico. C’est comme ça qu’elle m’appelle quand elle est en colère après moi. Sale toxico. Sale connard de toxico.

 

(...)

 

 

Banzaï 8 

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