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La mort qui pend au nez,

mini pour les moins de vingt ans.

 

Il n’a que dix-sept ans et a déjà la mort au bout de la bite. Il vient de faire le test. Il est venu avec sa mère, c’est elle qui l’accompagne et tend la carte vitale. Il est venu, avec son bras et sa maman, avec ses dix-sept ans et sa putain d’insouciance qui comme les feuilles mortes, s’emporte avec le vent. Il n’a rien dit à la secrétaire, il a seulement souri l’air de dire, j’ai rien à foutre ici. Elle, elle souriait un tout petit peu moins, la maman du dadais. Avec son tout petit mètre soixante, elle regardait son fiston, son rejeton, son gamin de dix-sept ans , grand et fin et l’air si délicat des garçons qui deviennent tellement doucement et sans faire de bruit, des hommes. Elle le regardait avec adoration et lui aussi, la regardait de la même façon. Ils sont allés s’asseoir, l’un à côté de l’autre, sans se parler, sans se regarder. Ils sont allés s’asseoir et ils ont attendu, ensemble, que la dame à la blouse blanche prononce leur nom commun. Il s’est levé. Elle est restée. Elle a mangé un ongle et puis deux et puis la main droite toute entière. Elle attaquait la gauche quand son fiston est ressorti. Ils ont demandé, quand les résultats seraient prêts. La dame à la blouse blanche a dit, ce soir. Ils ont dit d’accord, en même temps, sans se regarder. Ils ont dit d’accord d’un commun accord et puis ils sont partis. Elle a passé la journée à grignoter la main gauche et à se répéter, c’est pas possible, ça peut pas nous arriver. Pourtant, à la minute même où ils reviendront, ce soir, comme indiqué précédemment, la maman et le rejeton, à l’instant précis où on l’annoncera, elle ne cessera de se demander si de cela aussi, elle devait le protéger. Comme quand elle enroulait d’une écharpe, son petit cou d’enfant. Comme quand elle graissait, d’huile d’olive, ses lèvres fissurées l’hiver. Comme quand elle cassait une ampoule de vitamine D et qu’elle lui donnait, à la petite cuillère. Comme tout ce que jusqu’à présent elle avait bien pu faire pour lui mais là putain, elle n’allait pas lui enfiler un truc sur le bout de la bite. Il semblait être assez grand pour se passer d’elle. Il n’a que dix-sept ans et a déjà la mort qui pend au bout de la queue. Il n’a même pas essayé d’y faire passer la vie. Il n’a que dix-sept ans, qu’elle ne cesse de répéter, et n’a pas l’air de se rendre compte de ce qui vient de lui tomber sur le coin de la gueule. Ni l’impossibilité de faire chemin arrière. Ni la horde de médecins qu’il va devoir se fader. Ni la farandole de médocs qu’il devra avaler. Il n’a que dix-sept ans et tout vient de s’arrêter, si brutalement qu’il a rendu son petit pain au lait sur la blouse immaculée de son médecin traitant.

8 mars. 

 

Ce matin et comme tous les matins je me suis levée à 6 heures. 

Pendant ce temps toi tu dormais. 

J'ai fait couler un café, je l'ai bu debout en me demandant comment j'allais faire pour m'organiser, pour caser tout ce que j'avais à faire dans une seule journée.

Pendant ce temps toi tu dormais. 

J'ai rangé dans le lave-vaisselle la vaisselle qui traînait de la veille et lavé à la main celle qui ne rentrait pas. 

Pendant ce temps toi tu dormais. 

J'ai lancé une machine à laver en triant juste avant la couleur et le blanc. 

Pendant ce temps toi tu dormais.

J'ai passé le balai dans la maison, fait rentrer les bêtes, ai nourri les chiens et le chat.

Pendant ce temps toi tu dormais. 

Je suis allée me doucher, j'avais plus assez de temps pour me laver les cheveux. Tant pis. Ils seront gras.

Pendant ce temps toi tu dormais. 

Les enfants se sont levés en même temps que toi et une heure après moi. 

Tu avais un papier à remplir et à poster.

Tu as demandé où sont les enveloppes le papier un crayon et les timbres.

Alors je t'ai donné une enveloppe, un papier, un timbre, un crayon. 

J'ai voulu t'avancer j'ai collé le timbre sur l'enveloppe et j'ai fermé l'enveloppe. 

Tu t'es mis à brailler. 

Fallait pas la fermer, l'enveloppe.

Il est 7h30.

La journée a à peine commencé et moi je suis déjà épuisée.

Et lasse.

Vivement 13h, mon planning bien organisé, je vais pouvoir gérer les enfants, les activités périscolaires, les devoirs, la bouffe pour ce soir.

Vers 10h tu m'as envoyé un message me souhaitant une bonne journée et une bonne fête, gros bisous, à ce soir.

Je t'ai pas répondu, j'avais envie de te dire de te la mettre dans le cul, cette putain de journée de la femme.

Mais j'ai décidé de rester calme et de respirer. 

Après tout, tu n'y es pour rien, toi, si je suis née avec des ovaires plutôt qu'une bite.

T'y peux rien toi si globalement, les hommes sont tous des salopards.

Mais s'il te plaît, juste une fois putain, lève-toi plus tôt que je saches ce que ça fait de glander au plumard pendant qu'autour, le monde s'affole sans moi.

 

Minus horribilus.

 

 

Ils sont tous morts, morts morts morts, tous.

Ils ne bougent plus ils ont les lèvres bleues ils ont le ventre gris ils sont tous morts, morts morts morts.

Ils sont en boule dans un coin et allongés sur le dos pour certains, immobiles ils sont morts.

Ils n'ont pas essayé de s'échapper leurs ongles sont impeccables ils n'ont pas tenté de gratter le sol les murs et les fenêtres ils sont morts.

Ils n'ont pas pleuré on dirait, leurs joues sont sèches et froides et ils sont morts.

Ils ont dû s'endormir comme ça ou bien s'évanouir je ne sais pas mais ils sont morts tous bel et bien morts et ça empeste dans la maison.

Le plus petit a des pétéchies on croirait qu'il a vomi mais il est bien mort.

La moyenne s'est enroulée dans ses longues couettes dorées dans un coin en boule comme si elle venait de naître mais elle est morte comme les autres elle aussi.

La grande c'est pas pareil la grande semble s'être sentie mal elle est sur le canapé son corps de traviole et ses vêtements en chiffon mais elle aussi elle est morte.

Même le chien est bel et bien mort et comme il est nu du moins poilu on voit la merde qui a coulé de par l'orifice de son cul.

Des autres on ne voit rien puisqu'ils étaient humains mais là ils sont tous morts et ils ont dû, sûrement, se vider dans leurs vêtements.

Bref, tout le monde est mort même le canari dans sa cage même le hamster dans sa roue même le chat tout le monde sans exception ils sont tous morts morts morts.

Mis à part moi mais c'est normal.

Je ne sais pas ce qui m'a pris pourquoi d'un coup j'ai eu besoin, envie de calfeutrer les portes et les fenêtres et d'allumer le gaz et de sortir chercher du pain, du fromage, de faire des courses, de boire une pinte au bistrot pas trop loin et de refaire un tour pour pas rentrer trop tôt.

Je ne comprends pas, c'est ce que je dirai au juge, mot pour mot, que je ne comprends pas.

Je pleurerai et je hurlerai.

Je dirai qu'ils sont tous morts morts morts, je dirai ça en suppliant le ciel, en implorant à genoux pour qu'on me rende mes enfants.

Je dirai aussi que j'étais tellement mais tellement fatiguée fatiguée monsieur le juge, votre honneur, ça dépendra de qui j'aurai en face de moi.

Que tout ça c'est pas pour de vrai ma faute, je dirai que je suis qu'une pauvre malade et qu'on peut pas enfermer les pauvres malades non, on peut pas.

Par contre, on peut les soigner oui ça, on peut votre majesté.

Après ça j'aurai enfin la vie belle, je serai peinarde comme pas possible et on va s'occuper de moi, me dorloter me chouchouter, me consoler même, si ça se trouve et ça m'étonnerait qu'à moitié. Ils feront tous, pour moi, ce que j'ai fait, pour d'autres, pendant des années.

Seule, sans l'aide de personne, comme une grande, une grande malade.

Je ne dirai pas devant la barre devant les jurés que c'était vraiment pas une bonne idée de faire des mômes.

Vraiment mais vraiment pas.

Je ne dirai pas non plus que heureusement pour moi, c'était plus facile de les tuer que de les élever.

Je me souviens de mes mains dans la terre molle et parsemés de petits cailloux piquants pointus et de mon cousin qui léchait le dessous de ses pieds en sortant de la piscine juste avant de jouer à touche pipi avec moi.

 

Je me souviens que l’été ma peau sentait le souffre et le poulet grillé parce qu’à l’époque on ne se barbouillait pas d’écran total ni même partiel et que le soir, quand on allait se coucher, il fallait se caller entre les oreillers pour pas que la peau rouge tire ou se plie.

 

Je me souviens que le lendemain sous la douche je pouvais décompter le nombre de petits jets comme des rayons lasers dans mon dos tellement la douleur du soleil était encore présente.

 

Je me souviens que mes occupations principales c’était faire des gâteaux de terre et peindre les ongles de pieds de ma grand-mère maternelle en rouge vif comme les tomates de son jardin.

 

Je me souviens qu’elle était toute petite et que je trouvais que ses pieds ressemblaient aux pieds d’ET et que quand elle marchait, elle marchait comme ET aussi et que peut-être, ses racines en Italie, elle aussi voulait rentrer maison.

 

Je me souviens qu’elle nous faisait des sandwichs pour quatre heures avec du pain et une tomate rouge cueillie dans le jardin et un filet d’huile d’olive et que ça envoyait du bois dans mon palais.

 

Je me souviens qu’on partait une année sur deux en vacances avec mes parents et que souvent c’était dans des campings à la ferme et que la seule chose à faire c’était regarder les vaches mettent bas puis manger leur placenta.

 

Je me souviens qu’on allait à la source chercher l’eau fraîche pour le Ricard de papa et que maman empilait la vaisselle sale dans une bassine en pastique vert et qu’avec ma sœur, on allait au sanitaire laver les assiettes et les couverts.

 

Je me souviens que sur mon transat tissu à fleurs je pouvais passer des heures à jouer à Tetris sur ma Gameboy et que je n’ai jamais trouvé personne qui parvienne à me battre et que la fierté d’être arrivée au niveau 259 m’est un peu passée.

 

Je me souviens que souvent les campeurs dans les campings étaient des hollandais et qu’ils venaient en France avec le Volvo Break chargé de tout un tas de choses, jusqu’au papier toilette qu’ils faisaient tenir dans des tubes en plastique gris pour pas l’acheter en France et qu’ils prenaient la flotte quand il pleuvait la nuit.

 

Je me souviens qu’après ils baragouinaient des trucs aux tonalités hachées en alignant les rouleaux qui devaient sécher sur le capot pour finir tout gondolés par la pluie puis le soleil. 

 

Je me souviens que les garçons étaient jolis et que leurs sourires étaient très grands et leurs cheveux très propres.

 

Je me souviens que souvent on pleurait quand il fallait quitter le camping et les copains avec qui on avait pris soin d’échanger les adresses et souvent, on s’écrivait une fois et puis on s’oubliait parce que je ne parlais pas Hollandais et les lettres ressemblaient à des messages codés.

 

A chaque fois que je retourne en Hollande, j’espère croiser Jasper. A chaque fois que je regarde ET, je pense à ma grand-mère.

A chaque fois que je prends un coup de soleil, j’ai l’impression que ça faisait plus mal avant. Le soleil et le reste, les petits cailloux enfoncés dans la plante des pieds, les au revoir et parfois même les adieux.

Après l’été, avec le temps, les peaux se tannent et les cœurs ne s’attachent plus si vite qu’avant.

La seule chose intacte, c’est le goût des tomates bien mûres arrosées d’un filet d’huile d’olive dans les sandwichs de mes enfants. 

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