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LE BUNKER

Neuvième Témoignage 

 

 

Jacques Flament Editions

 

Jacques Flament, l'éditeur, à propos du Bunker : 

 

 

LE BUNKER, NEUVIÈME TÉMOIGNAGE Nouveau témoignage féminin sauvé du bunker : celui d'Alexandra Bitouzet. Et une sortie en règle, mais à quel prix ! À travers la narration d'un môme, enfermé par hasard avec sa mère quand le sol s'est mis à trembler, qui dit ce qu'il pense et pense à ce qu'il dit, l'auteur nous offre une vision noire de l'attente en groupe, de la solidarité inexistante, de la bestialité qui resurgit quand l'espoir a disparu. Alexandra, avec les mots forts de leur simplicité, percutants comme des uppercuts, ramasse les débris et nous les balance à la gueule par paquets de dix. C'est vachement violent… Mais c'est plein de talent… Et ça vaut assurément la peine qu'on s'y arrête…

 

... et pour vous donner envie, ça commence comme ça ! 

 

 

 

Le Barman

 

Si vous voulez vraiment que je vous raconte comment avec maman on s’est retrouvés là, alors sûrement que je vais devoir vous parler de papa et comment encore une fois, il a oublié de venir me chercher. Son week-end sur deux. Mais je crois qu’on n’a pas trop le temps de parler de tout ça, et puis maman ça la ferait sûrement grincer des dents de m’entendre déblatérer des trucs personnels sur sa vie. Sans lui demander la permission. Mais surtout, je veux vous raconter ce truc qui nous est arrivé dans ce bunker alors qu’on était venus livrer des petits fours. Maman, c’est son travail. Elle livre toutes sortes de choses. Parfois ça se mange et parfois pas. C’était juste avant le début du week-end. Tout était bien calé. Je devais partir vers dix-sept heures avec papa et après, maman devait rouler deux heures vingt. Tout devait se passer exactement comme ça. Mais papa n’est pas venu. On l’a attendu pourtant. Un peu. Et puis, il fallait bien que maman parte. Alors elle m’a emmené avec elle. Vous vouliez qu’elle fasse quoi ? Je suis juste un môme. Elle n’allait quand même pas me laisser tout seul. Je n’avais que neuf ans. Elle n’a pas eu le temps de prévenir. De demander si c’était possible. D’emmener son gamin. Toute façon, c’était ça ou rien. Je suis monté dans la voiture, j’étais super content parce que maman me laisse m’asseoir devant, même si je n’ai pas encore l’âge et surtout, ça me rassurait d’être assis à côté d’elle parce que dehors, y avait un orage pas possible. Il faisait si lourd qu’enfin ça avait fini par péter.

 

Dix jours qu’on attendait ça. D’habitude, j’aime bien la pluie quand maman conduit parce que je regarde les grosses gouttes faire la course le long des vitres. Je fixe la plus grosse et je mise, sur elle, toutes mes économies et dans ma tête, c’est un champ de courses. Souvent je gagne. Et puis aussi, je fais des dessins dessus les vitres avec mes doigts sur la buée que l’air de ma bouche vient de déposer. Mais ce jour-là, il pleuvait trop fort et presque j’avais peur. Alors parfois, quand maman passait les vitesses, j’en profitais pour toucher sa main et elle tournait la tête vers moi et en même temps qu’elle me souriait, elle me faisait un petit clin d’œil. Si vous voulez vraiment savoir, je crois que rien ne me rassure autant que cette petite grimace que fait maman parce que c’est dans ses yeux que je me sens le plus fort.

 

Bon. On s’était garés, après avoir roulé vachement long- temps, il ne pleuvait plus. Maman m’avait dit de descendre de l’auto parce qu’on était arrivés mais tout ce que je voyais, c’était un terrain vague et une centaine de voitures, bien garées et parfaitement alignées sur plusieurs rangées. Bref, un parking et rien d’autre. Que dalle ! Pas la moindre trace d’un bunker ! Ni mur. Ni porte. Pourtant le petit drapeau noir et blanc du GPS n’arrêtait pas de dire : « Vous êtes arrivés à destination. Vous êtes arrivés à destination. Vous êtes arri- vés à destination. » Je devrais peut-être pas répéter ce que je vais dire là, parce que maman elle n’aime pas que je sois grossier, mais comme elle commençait à s’énerver un peu, elle lui avait dit de fermer sa gueule. Je ne sais pas si comme moi l’appareil n’aimait pas désobéir à maman mais il avait fait ce qu’elle ordonnait. Ensuite on avait vu le sol s’ouvrir et juste après l’histoire du GPS qui écoute maman je m’attendais à voir des farfadets sautiller de derrière les buissons sauf que pas du tout. Y avait pas plus de farfadets que de bunker. En tout cas, pas le genre de bunker que je m’attendais à voir. Après, on avait entendu gueuler de sous la terre. — Les mecs ! La Débardeuse est enfin arrivée et elle a amené un môme avec elle ! Un homme était apparu, d’abord sa tête et puis son torse et enfin ses jambes et on l’avait vu tout entier comme si c’était un revenant qui sortait de sous la terre. Il s’était présenté. Il avait dit qu’il était Le Barman et que si j’avais soif, c’était à lui qu’il fallait demander. Il portait une petite moustache fine et un perfecto sans manches, en cuir, sans rien d’autre, ni en dessous, ni au-dessus. Un jean aussi. Très serré. Il avait tendu sa main pour que je tape dedans, comme si on était potes depuis des lustres et j’avais trouvé ça chouette. Après s’être salués, on était descendus sous la terre, dans le bunker, moi, maman et Le Barman. Les escaliers étaient super étroits et sombres aussi. Bras tendus, je touchais largement les parois des murs. Elles étaient froides et humides, en béton et quelques torches étaient allumées pour guider la descente. Je n’en menais vraiment pas large pour tout vous dire. Le Barman avait proposé à maman de rester boire un verre et elle avait dit oui. Maman aime bien boire des verres mais elle n’aime pas trop que ça se sache, alors elle avait dit : « Juste un et on file ! » En me faisant son fameux petit clin d’œil. Derrière nous, la porte s’était refermée à l’horizontale, faisant disparaître le soleil. C’était l’été, les journées étaient longues et chaudes mais dedans, sous la terre, il faisait frais et finalement, on y était plutôt bien.

 

On nous avait dit de nous ranger en rangs d’oignons pendant la lecture du discours d’inauguration. Maman ça la gonflait un peu et moi je ne vous raconte pas, mais comme elle avait l’impression de plus avoir le choix maintenant que la porte était close et comme les petits fours étaient vachement bons, on était restés. Alors un type avec un costume et une cravate avait commencé à parler. Du rôle des artistes dans notre société et de plein de choses que je ne comprenais pas. Face à lui, derrière nous donc, il y avait trois énormes plaques, de bronze sûrement, avec les noms de tous les artistes présents et il y en avait un paquet ! Deux cent dix-sept, il avait dit. Ils avaient l’air tous vachement fiers de savoir que quelque part leur nom était gravé alors qu’ils étaient encore vivants. Leur menton levé vers l’estrade, ils attendaient qu’on les vante, eux et les machins qu’ils créaient. Avec ses bras tendus, le type montrait les plaques, puis les gens tournaient leur tête et faisaient des ah ! et puis des oh ! Comme il reprenait la parole, les gens retournaient leur tête vers lui et continuaient d’écouter, attentifs à chaque mot, entre deux gorgées de champagne. Lui aussi, le type en costard, semblait bien fier, comme si c’était lui, avec ses petites mains, qui avait fait tout ça. Creuser le bunker, monter les cloisons, tirer les câbles, passer l’électricité. Il parlait beaucoup. Il disait : « Vous tous, ici présents, mes chers artistes, faiseurs du monde. » Les syllabes traînaient. Bla bla bla. « Réunis ici, dans mon Antre, créée pour vous. Deux cent dix sept élus. » Bla bla bla. Chiant comme la pluie. À chaque fois qu’il pro- nonçait le mot artiste, je voyais les maxillaires de maman se serrer si fort qu’une boule apparaissait sous chacune de ses joues comme deux petits cœurs battant au rythme de sa rage. Si vous voulez encore savoir, je dirais que là-dessous, ça faisait pas que sentir la prétention. Non. Ça la puait aussi.

 

Maman n’a jamais aimé les artistes. Il paraît qu’elle a écrit un petit livre, il y a quelques années. C’était juste après que papa est parti. Le petit livre n’a pas marché du tout et après le divorce, ça commençait à faire beaucoup d’échecs. Du coup, maman a cherché puis trouvé un vrai travail, c’est-à-dire un travail qui rapporte des sous, et elle a fait ce qu’elle avait à faire. Elle dit souvent que, dans la vie, si on veut s’en sortir, faut pas se débattre, que celui qui se débat finit par couler et que c’est pour ça qu’elle fait toujours ce qu’on attend d’elle et jamais rien qui va contre. Parfois, elle essaye autre chose et comme ça ne marche pas, elle se remet dans le rang parce que ça, au moins, ça remplit le frigo. Ça doit être pour ça qu’elle déteste autant les artistes, parce qu’eux ont trouvé le moyen de ne pas couler. Enfin, je dis ça, mais je suis sûrement trop petit pour comprendre. Ça aussi maman me le dit souvent.

 

Bref, le type en costume parlait toujours et moi je regardais maman et je serrais très fort sa main, comme pour dire, regarde-moi, je suis là, n’écoute pas, c’est rien que des conneries. Alors elle avait tourné la tête et m’avait souri. Au même moment, à l’instant précis où son sourire était le plus radieux, où le soleil de dehors ne manquait pas, tant ma maman rayonnait, l’entrée s’était écroulée et pas une petite secousse de rien du tout. Non. En douze secondes, les rangs d’oignons s’étaient dispersés pour former un super confit noyé dans la poussière et les gravats. Ça s’était mis à tousser de partout, à crier, à hurler. J’en avais même entendu appeler leur mère. Pour ne rien vous cacher, j’ai sûrement eu la frousse de ma vie. Le sol s’était mis à trembler et dans mon nez, un putois aurait pu y faire son terrier tant y avait de dégueulasseries accumulées. La poussière collait à mes narines, à mes cils, s’était faufilée aussi dans les trous de mes oreilles. Chacun de mes membres tremblait des secousses que l’éboulement venait de déposer dans chaque muscle de mon corps. J’avais juste réussi à formuler un « merde ! » Et puis un « fait chier ! » même si maman aime pas que je jure.

 

Une soirée à Sens,

*Public Averti

Lili Cameau,

Laurent Herrou,

Eric Maliskiewick

Alexandra Bitouzet. 

En photos et vidéo. 

 

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