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Le messager.

 

J'ai rêvé de toi, sans savoir pourquoi, j'ai rêvé de toi et tu étais là. Ça faisait longtemps mais je crois que cette fois, tu avais quelque chose à me dire. Tu le sais, j'ai jamais cru à ces conneries. Toi non plus d'ailleurs. Pourtant cette fois, j'ai envie d'y croire. J'ai ressorti nos photos de vacances, ça me prend parfois. Trois quatre fois pas an, je descends au sous-sol et j'ouvre le coffre en bois, coincé derrière une caisse en fer. Je le cache. C'est con parce que personne ne fouille, j'ai rien à cacher ici. Mais je le fais quand même. J'aime bien ce moment où j'ouvre la malle. Toutes tes lettres et nos photos sont dans une pochette plastique dont la fermeture est cassée. Je tremble toujours un peu en l'ouvrant, je sais que ça va faire mal mais je le fais quand même. J'ai besoin de voir ton visage, besoin de lire les mots que tu as écrit pour moi. Je m'assieds sur le clic-clac rouge, le chien a bouffé la banquette, y a un gros trou dégueulasse et ça sent le tabac froid. C'est bien. Faut pas que ça soit trop douillet l'endroit où on se donne rendez-vous. Faudrait surtout pas qu'il me vienne l'idée et l'envie d'y rester. Pourtant cette fois, c'est différent, cette fois, je vais te monter à l'étage, près du poêle à bois, il fera chaud, on sera bien. Tu as fait l'effort de venir me voir cette nuit chez moi, ç'a dû être coton à obtenir cette autorisation de sortie. J'imagine que ça devait être super important pour que tu viennes de si loin. Tu vas me dire que je sais mieux que toi, c'est vrai t'as raison, j'ai pas la forme en ce moment. Ça me fait un peu mal de voir que les vivants s’inquiètent moins que les morts mais tu vas me dire, encore une fois, que c'est pas nouveau. Je regarde les photos de Naples, tu sais ce que je me dis, on aurait pas dû prendre autant de ruines, je m'en fous des ruines aujourd'hui, on aurait dû nous prendre nous. Les ruines, je pourrai encore aller les voir, tant que je serai en vie, mais de toi, il ne reste rien d'autre que le souvenir et ces quelques clichés de trop mauvaise qualité. Je ne te donne pas de nouvelles de ta maman, tu le sais aussi. Elle avait sa chimio jeudi, je dois l'appeler mais c'est dur quand tu me manques. Je sais qu'elle ne pleure pas pour me protéger. Elle ne veut plus se battre, je crois qu'elle ne va pas tarder tu sais. Ça me fait mal, je voudrais la voir avant qu'elle ne prenne sa décision. Je voudrais l'embrasser encore un peu et lui dire combien je vous aime tous les deux. Je crois qu'elle n'en peut plus de sa tartine de merde, comme elle dit si souvent. Je voudrais te dire tant de choses mon bel ange, tant de choses, si tu savais. Te dire que je ne t'ai pas trahi, tu sais ce secret que tu m'avais dit, je l'ai gardé pour moi. Il est là, bien au chaud, ne t'inquiète pas. Te dire combien tu as compté dans ma vie, et les traces que tu as laissé sur moi, de douces traces, ne t'inquiète pas. Te dire que je t'ai aimé et que je t'aimerai encore, toute ma vie, pour que tu vives encore.Reviens encore me voir, quand tu veux, même si je pleure après, reviens encore, s'il te plait, je t'en supplie. Et laisse-moi croire que tu es encore là et que je peux compter sur toi. Je te laisse, c'est de bonne guerre, j'y vois plus rien, il pleut ici.

 

 

Je restais pour toi.

 

J'ai reçu un appel ce matin, un appel peau de chagrin qui disait en quatre phrases, Ton fils est mort. C'est un accident. Ne fais pas d'esclandre. Comporte-toi bien. C'était ton père, il a dit ça comme on dit je descends à la boulangerie, ça te soulagera, puis il a raccroché et je n'en sais pas plus. Je croyais que ça me ferait du bien d'entendre ta voix quand j'ai vu le numéro de papa sur l'écran gris anthracite du combiné. Les chiffres ont attisé mon envie de décrocher et me voilà sonnée, anéantie par la nouvelle que je ne parviens pas à digérer. C'est un peu normal il me semble, ça ne fait que quelques heures que je sais que tu n'es plus et tu ne me manques pas encore. Pour l'instant je crie et je pleure aussi. Pour l'instant mon petit, je n'en suis pas encore là. Il a rappelé en fin de journée, on l'enterre jeudi, j'espère que tu n'as rien de prévu. Depuis que papa a obtenu ta garde, je n'existe plus mais je ne pensais pas qu'il parviendrait à m'anéantir complètement. Je décomptais les jours qui me rapprochaient de toi, un week-end sur deux, tu devais arriver vendredi mais on t'enterre jeudi et tu ne viendras plus. Je croyais que le pire était derrière moi mais à présent je le sais, il n'y a plus d'avenir. Je me suis assise dans ta chambre, j'ai allongé mon corps sur ton lit, sur tes draps, sur les miettes que tu avais déposées en grignotant sur ton oreiller. J'ai laissé les morceaux s'incruster dans ma peau, jusqu'à ce que ça me blesse, jusqu'à ce que ça devienne insupportable mais ça n'est pas arrivé. J'ai supporté et je n'avais pas mal. Je suis restée comme ça à regarder par la fenêtre de ta chambre le mur de feuilles presque mortes qui faisaient une ola en s'envolant une à une. Oiseaux rouge orangé, douleur gris foncé et la nuit ne venait pas. Le son de ta voix vibrait dans mon estomac et se mêlait à la bile mais la nuit ne venait pas.

 

 

Nous ne serons jamais…

 

Nous ne serons jamais ces petits vieux ridés qui attendent sur un banc que les canards finissent de chier. Nous ne serons pas plus ces petites mains fripées qui tremblent en s'essuyant mutuellement les restes de pudding sur les mentons aux poils drus. Et nos yeux fatigués ne regardent plus dans la même direction depuis bien longtemps déjà. Et les larmes qui s'échappent ne retiennent plus d'étreintes depuis des années. Nous ne serons jamais ces petits vieux qui se tiennent par le bras et avancent lentement vers leurs morts synchrones. Nous ne serons jamais ces vieillards que nous enviions quand je me blottissais dans tes pulls à grosses mailles aspergés after-shave et que tu te collais à moi petite cuillère froide que mon cul réchauffait. Nous serons au mieux ces petites vies usées et lassées d'aimer ce même corps, cette même chair, incontrôlable et détestable. Qu'il fut dur mon amour de s'aimer si longtemps et d'essayer simplement ce que d'autres font si bien et si facilement. Nous finirons toi et moi dans ce trou que nous avons fait creuser, caveau de l'amour, nos carcasses enlacées, dernier mensonge de notre adoration.

 

Tu manques à ma vie.

 

 

J'ai rêvé de toi cette nuit, c'est la première fois.

Nous pouvions être amis, nous en avions le droit.

Nous sommes allés marcher, toi à côté de moi,

Je sentais ton parfum, je sentais ton émoi.

 

Depuis toutes ces années, pour ne pas la froisser,

La femme parano, la légitime mariée.

J'ai accepté, pour toi, si bas, de m'enterrer,

Et le rêve de cette nuit, je peux m'en contenter.

 

Pourtant je n'ai qu'une envie depuis ce matin,

Retourner dans mes draps et attraper ta main

Retrouver ton sourire et ton regard malin,

Et défier, toi et moi, celle qui ne comprend rien.

 

Quelle imposture cette exigence d'épouse gâtée,

Et dans mes yeux ce sentiment d'humilité.

Il ne t'appartient pas et je n'ai rien volé,

L'amour n'est pas un acte de propriété.

 

Je voudrais t'appeler, je voudrais t'embrasser,

Je meurs de ton absence, je crève de tes silences.

Reviens-moi cette nuit, reviens, je t'en supplie,

J'ai tant besoin de ça, j'ai tant besoin de toi.

 

Ma carcasse.

 

L'émoi que je t'insuffle est-il assez puissant pour que tu penses à moi même quand je ne suis pas là ? Et quand tu la regardes, cette autre que je ne suis pas, m'oublies-tu tout à fait ? Aurai-je assez d'audace pour te dire complètement ce qui en moi se leurre ? Ce qui en moi se meurt. Doucement. Lentement. Et quand tu es en elle, et qu'elle te dit qu'elle t'aime, et qu'elle te dit encore, et qu'elle te dit plus fort, trouves-tu ça honnête ? Ne sens-tu pas la dette qui devant toi se dresse ? Je ne veux pas savoir. Je ne veux pas entendre. Je ne veux rien connaître des corps qui s'entrechoquent dans le silence de la nuit. Du goût qu'elle a. De l'odeur de sa peau. Des cris qu'elle pousse. De la sueur entre ses seins. De ton sexe dans sa main. Et du sien dans ta bouche. Des draps que vous mouillez. Des mots que vous vous dites. Des regards qui vous lient. Délaisse ma carcasse si sèche qu'elle n'en souffre plus. Laisse-moi effacer la trace que tu as déposée. Permets-moi d'oublier à mon corps défendant que j'aurais pu, peut-être, m'oublier, un peu.

 

 

La femme tronc

 

Je me réjouis de constater, oui, c'est pas souvent que je me réjouisse de quoi que ce soit, que fort heureusement le nombril est un petit trou caché par nombre d'épaisseurs ; tricot de peau, pull, sous-pull, manteau, fourrure, textiles en tout genre. Je m'en réjouis parce que certains passeraient tellement d'heures à se l'admirer s'il était, disons, sur le bras ou dans la paume de la main. Je m'en réjouis et dans ma tête un petit cabri fait des bonds de douze mètres. S'il était, mettons sur le front, j'imagine que certains se feraient greffer un rétroviseur sur le haut du crâne pour pouvoir se le zieuter sous toutes les coutures et tomber en pâmoison devant ce petit puits de chair. Je m'en réjouis parce que cela augmenterait considérablement le danger sur les routes, je n'ose y penser. Il faudrait déplacer les réverbères pour éviter que ces mêmes gens se les prennent en pleine gueule, ce qui serait fâcheux, vous en conviendrez ! Cela augmenterait le déficit de la sécurité sociale, il faudrait réparer tous ces nez cassés et les communes seraient endettées sur trois générations sous les frais de ces travaux. Ce n'est pas souvent que je dresse un tel constat mais force est de constater que la nature est sacrément bien faite ! Moi, je m'assieds sur mon égo et je vous assure que c'est vachement confortable. Je devrais, paraît-il, m'admirer un peu plus souvent le doudou mais voyez-vous, j'ai un problème avec la prétention, je trouve que ça rend con. Je ne sais pas encore différencier l'égo et l'estime de soi mais ça va venir, j'ai confiance. D'autant que ça me coûte un bras à chaque consultation, le mois prochain, je suis cul-de-jatte et d'ici le printemps, je serai une femme tronc. Mais fort heureusement, il me restera toujours mon petit nombril à admirer. Je vous le dis, la nature est sacrément bien faite !

 

 

 

Fin damnée.

 

Encore une fois nous réveillonnerons sans toi, ça n'est pas que tu es mort mais mon cœur ce soir est un peu gelé. Papa a des exigences de fin d'année alors cette fois encore je dois plier. Courber. Remballer fierté. C'est un choix qu'on ne fait pas quand on est divorcé. Pourtant cette année pardonne-moi mais de ce non-choix, j'en ferai de la joie. Je te sais heureux près de ton papa et c'est ma plus belle absence sous le sapin. Je mets un petit napperon à dentelles, tout laid, sur mon cœur et je souris, au moins pour ta sœur. Ta demi-sœur en vrai (mais chut, ça n'existe pas chez nous). Je vais t'emporter avec moi, réveillonner dans la joie, nous inventer des souvenirs, comme si, comme si tu étais là. Je penserai à toi, à toi d'abord, lorsqu'à minuit il sera temps de s'embrasser, c'est à tes joues, promis, que je penserai. Et puis je vais t'attendre, devant la porte, devant le sapin, devant le poêle à bois. Tu rentreras vers onze heures et elle aura tout déballé, déjà. Elle ne sait pas encore, Princesse Bouclettes, le bonheur de vos plaisirs, et vos yeux pépites d'or. Mais moi. Je vais t'attendre comme tu attends depuis des mois, cette liste de la taille de mon bras. Et quand tu vas sourire, envolée la tristesse, effacée la colère, oubliée la rancœur. Plus rien ne comptera alors que cet émerveillement dans ton regard d'enfant. Je mettrai les chants de Noël, les mêmes que quand j'avais neuf ans et nous chanterons tous les quatre, enfin réunis comme si, comme si nous n'étions pas décomposés.

 

Overdose.

 

J'étouffe un peu, il faut bien l'avouer. Ce monde de cons aura ma peau. Le péril étant imminent, je suis partie en urgence pour m'y rendre, justement. J'ai croisé une collègue qui attendait son tour, elle s'est cassée la gueule dans les escaliers, se tordant genou gauche et cloison nasale. Le mur face aux marches n'a rien. "T'as une fille ?" me demande-t-elle ! Onze ans d'ancienneté. Pourtant. La petite en question est dans mes bras et va bientôt souffler sa troisième bougie. Onze ans d'ancienneté, pourtant. C'est ton tour mon fils, va prendre ta came, respire à pleins poumons, avale le sifflet, éclate-toi les alvéoles pulmonaires, prends-en une dose pour moi. J'étouffe très fort. Je suis partie si vite que je suis arrivée sans rien. Je commence à lire tout ce qui se trouve à perte de vue, les affiches aux murs, l'abécédaire collé au-dessus de l'écran, puis l'écran justement, les petits mots des infirmières, les molécules des antibios, les chiffres sous leurs semelles. J'ai trois heures à attendre, je digère chaque lettre en espérant que le temps s'accélère un peu. Je te regarde prendre ton mal en patience. J'aimerais bien moi aussi un peu de ton shoot de vie, être ivre d'oxygène à plus savoir quoi en foutre. Et trembler comme toi d'avoir trop inspiré/expiré. Savoir ce que ça fait de ne pas savoir ce que je sais. Le monde de cons. Tu verras. Trois heures à attendre et à comprendre. Je suis transparente. Toi aussi. Et eux aussi. Je te regarde reprendre des couleurs, le gris s'estompe, tes lèvres redeviennent roses. Ton taux de saturation est correct. Mon coeur bat à nouveau, synchrone avec le tien.

Passé seize heures, je vous paye un burger chimique. Je t'ai laissé choisir l'emplacement et tu t'es assis derrière la seule table prise. Je ne te contredis pas. Pas aujourd'hui. Je m'assois et je serre les dents. Je regarde les cheveux bouclés d'une fille qui danse sur sa banquette. Visiblement, elle a un poste à responsabilités relatives. Elle a dans les vingt ans et appelle tout le monde "ma petite". J'ai envie de lui péter les dents quand elle me regarde dans l'angle mort de ses yeux globuleux. J'ai envie de lui hurler des insanités à la gueule quand je l'entends chanter, par dessus le marché. Je t'écoute respirer et je tente de me concentrer sur ce qui est important à l'instant T. Malgré les parasites. Malgré l'envie de tout envoyer chier. Malgré la pétasse qui n'en peut plus de se trémousser sur sa banquette en simili cuir rouge. Malgré tout ce que je ne peux écrire. Ici.

J'ai besoin d'une falaise, haut perchée, pour hurler très fort.
Ou d'un masque en plastique diffusant du protoxyde d'azote.
Avec un peu d'éther, ça fera parfaitement l'affaire.

 

Je vous ai enviés, les artistes, pédants, étriqués comme vos esprits dans vos vestes dégueulasses ! Vos cheveux gras, vos petites lunettes, vos passés, vos présents, vos appartements blancs, vos coupes de champagnes, vos relations, votre imagination, vos soirées sans moi, vos amis bourgeois, vos livres papiers, vos exemplaires dédicacés, votre agressivité, votre beauté, votre culture, votre absence de démagogie. J'ai eu envie d'être vous ou au moins d'intégrer le cercle très élitiste de vos amis. J'ai ramé, ah ça oui putain, j'ai fait des appels de phares, Des YOUHOOOU, j'suis là ! Des HEHOOO, j'existe ! J'ai liké vos photos, j'ai lu vos bouquins, je suis allée à vos expos ! Putain ça oui, j'en ai claqué du fric ! Je ne suis pas juge, je ne suis pas érudite mais j'avoue que souvent, je me suis pas mal emmerdée ! J'ai été impressionnée quand même, ça je dois bien l'admettre, par cette incroyable capacité que vous possédez : parlez de vous ! C'est merveilleux de s'aimer autant ! Sur ce point-là, oui, je vous envierai ad vitam aeternam (petit effet de style… purée la bouseuse a étudié le latin !) Je me suis sentie pouilleuse plus d'une fois grâce à vous. J'ai failli tout abandonner, j'avais l'impression qu'il me fallait une place à vos côtés pour exister en tant qu'auteur. Il m'aura fallu un an, un an pile-poil de cul, pour admettre ce que vous êtes (oui, je suis longue à la détente). Vous êtes la prétention et l'indifférence, vous êtes le succédané de l'esturgeon camouflé dans une boîte de luxe, verrouillée par vos copyrights. Du bon marché au prix fort, qui seul se trompe celui qui n'a pas goûté. Je peux écrire ce que je veux, l'avantage c'est que vous ne me lirez jamais parce que pour vous, je n'existe pas ! J'écris la noirceur de l'âme, la cruauté humaine mais l'indifférence est sans doute ce qui me peine le plus. J'ai voulu être comme vous mais à présent, je vais être moi parce que je crois qu'humainement, et c'est déjà ça, je suis au-dessus de vous ! Je suis un oeuf de lump et je n'en ai pas honte. Accommodez-moi comme bon vous semble mais jamais je ne cracherai sur celui qui me déguste !

 

Joyeuse Saint Valentin mon Poussin !

 

C'est le jour mon amour, c'est le jour où tu as l'obligation de m'aimer. Tu peux te défiler le reste de l'année mais aujourd'hui je veux et j'exige que tu sortes le grand jeu. Resto, fleurs, chocolats, démerde-toi. Embrasse-moi, baise-moi, force-toi ! Car ce soir, mon amour, je fais le plein de câlins, je cumule les mandats et je sers le foie gras. Tu ne peux pas te défiler. Tu ne vas pas le regretter ! Je sors de chez l'esthéticienne, j'ai mon titre de transport, un magnifique ticket. Oh non chéri, tu ne vas pas être déçu ! J'ai tellement hâte que tu me tâtes, que tu me retournes et que tu me bourres. Depuis un an que je l'attends cette foutue Saint Valentin. Ce soir je range ma main, mon godemichet et mon canari jaune poussin. Je suis toute émoustillée, je n'arrête pas d'y penser. Sur ma chaise, au bureau, je m'excite en tapant le compte rendu d'un prélèvement vaginal. La salope. Un spéculum. La garce. J'effleure les touches des mots qui m'excitent, un jargon médical qui me sied tout à fait. Tap tap tap. Même le clavier me rappelle le bruit de ton corps humide contre le mien. Je regarde l'heure. Tic tac tic tac. Je pense aux magrets de canard que j'ai sortis du congel' avant de partir. Il faudra émincer l'ail et éplucher les patates. Je mettrai la nappe verte, celle avec les grosses tulipes rouges. Je me presse de rentrer, les petites fourmis ont commencé à se disperser. Je regarde l'heure, tu ne vas pas tarder. Je me repoudre le nez, replace les rideaux, tourne les patates. J'aère. Les magrets ont enfumé la baraque. Je m'assieds un peu sur le canapé et me sers un verre, juste un doigt en t'attendant. Je regarde mes collants que j'ai filés en m'agitant. Si je me concentre, j'entends presque le bruit de l'auto et du portail qui s'ouvre. Je sens presque tes lèvres sur ma nuque et l'odeur de ton after-shave. C'est comme si, comme si tu étais là. Je ferme les yeux et je fais comme si. Comme si je n'entendais pas le téléphone sonner. Comme si je faisais abstraction des excuses et des mensonges. Comme si elle ne riait pas derrière le combiné que tu replaces en lui souriant. Je n'entends rien d'autre que le frémissement de la poêle, le magret qui crie et mes larmes que j'étouffe dans les bulles de champagne.

 

Bric-à-brac

J'aurais bien aimé que non, mais pourtant si. La nature humaine me fait des guiliguilis tout le long de la colonne vertébrale et me donne des envies de ramper sans bruit jusqu'à un rail de chemin de fer et de m'étendre d'un bout à l'autre. Sectionner en trois. Chlac. Chlac. Chlac. N'en parlons plus ! 
Ce week-end j'ai fait une brocante. Je ne suis pas allée m'y promener, non, je ne me suis pas contentée de cela. Je m'y suis installée. Avec ma petite boîte à sous, ma chaise en plastique et mon gobelet blanc rempli plein la gueule de café soluble dégueulasse. Ça m'a pris comme ça, je me suis levée tard, j'ai foutu la moitié de l'armoire de ma fille dans des sacs et me suis installée vers midi. (Tu l'as sens l'habituée de la broc' hein !) 
On m'a d'abord reconnu une fois. Ça c'est passé comme à chaque fois 
Elle : Je vous connais !
Moi : Oui, c'est possible.
Elle : Si, si, je vous suis sur fb, vous peignez ! J'adore ce que vous faîtes !
Moi : Non, c'est Lili Ã§a ! Moi j'écris !
Nous voilà donc engagées dans une conversation désarticulée. Conversation qui ne m'inspire pas car j'ai beau le répéter l'art me laisse de marbre. J'en suis bien navrée, croyez-moi. Je n'y connais rien en techniques, en mouvements, en impressions, en que dalle. L'art ne me parle pas ! Mais cela m'a ravie pour Lili ceci-dit ! 
Mon petit café soluble a, pendant ce temps perdu, refroidi. La fille s'est éloignée, sans rien m'acheter et j'ai raté deux ventes du mobile musical de Princesse Bouclettes. Crotte. De bic. 
Pour patienter jusqu'aux prochains clients, je lis un peu sur mon téléphone. Le numérique a cela de parfait, en trois clics, me voilà plongée dans la lecture d'une petite perle. Azure, d'Alain Defossé, aux Editions Emoticourt ("Emporte-moi, et s'il le faut, tue-moi d'abord. C'est lourd, un homme mort, mais sans doute moins qu'un homme qui résiste.")
Je lève la tête et j'aperçois un visage familier. Un visage qui me dit quelque chose. Ça pourrait bien être une fille avec qui j'ai travaillé il y a une dizaine d'années. Elle promène un petit garçon à lunettes bleues dans une poussette cane. Je me lève de ma chaise en plastique et vais lui dire bonjour. Elle me parle d'un peu de tout en peu de temps, de ses trois enfants, de ses jumeaux qui viennent d'avoir un an, du grand qui va faire sa rentrée en septembre mais qui n'est pas encore propre la nuit, de la fatigue, des nuits blanches, des 200 euros de couches hebdomadaires, du travail qu'elle cherchera dans 2 ans, de tout et de rien. Et elle me demande ce que je deviens. Je lui dis que ça va plutôt bien. Ceux qui me connaissent le savent, je parle rarement de mes écrits. Lorsqu'on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds que je suis secrétaire médicale dans un labo depuis 11 ans. Et point. Jamais, au grand jamais je n'oserais me proclamer auteur. Je n'en parle pas, c'est tout. Sauf hier, sans savoir pourquoi. 
Moi : Je prends un peu de temps pour écrire. (La phrase était lancée, les mains moites, le ventre noué, j'allais parler de moi. Enfin.)
Elle : Et sinon, ta soeur, ça va ?
Loin derrière la discussion, loin derrière le sujet, le moi, le je. Loin derrière les illusions. Le mur de briquettes en pleine gueule. Stoppée net dans mon désir de parler. Envie d'hurler. Puis de pleurer. Puis d'hurler encore. (Je suis sensible, émotive et naïve. A tour de rôle. Et parfois en même temps.)
Elle : Tiens, je te prends ça. 
Moi : C'est trois euros.
Je crois que la littérature n'intéresse personne. (Enfin, presque plus personne.) 
Ou alors les gens ne s'intéressent qu'à eux. 
Ou alors, je n'intéresse personne. 
Ou alors cette fille est une vraie conne !

 

SAF

Elle se fait chier bien sévère pour enfiler cette foutue couche. Bon sang de merde ! Elle est bourrée, c'est chaud. Elle tente tant bien que mal de soulever la gamine, te la secoue dans tous les sens, essaye de la lever par les pieds mais ça va pas. Par un pied, c'est mieux mais ça craque. Elle galère et la mioche manque de tomber, sa mère la rattrape in extremis par un réflexe plutôt animal. Elle la repose sur la machine à laver, elle en a profité pour rincer les draps dans lesquels elle a dégueulé deux nuits plus tôt, l'appareil est en mode essorage et vrombit dans son crâne de connasse écervelée. La pauvre môme ne bouge pas, maigrichonne et sous-alimentée. Elle a deux ans et les seuls mots que lui apprend sa salope de mère sont "apporte ma bière !" et "dégage de là !" Elle ne l'a jamais embrassée, pas même le jour de sa naissance. Elle est arrivée bourrée et a signé une décharge pour se casser le lendemain. La petite souffrait du syndrome d'alcoolisation foetale. Elle a eu les services sociaux au cul et a entamé une cure pour récupérer ses allocations familiales et la gamine, de surcroit. Elle repense à tout ça en lui changeant sa putain de couche, elle se dit que pour deux cents euros par mois, ça valait peut-être pas le coup de s'emmerder. Elle se dit qu'elle aurait trouvé une autre solution, elle aurait fait la pute ou aurait snifé de la colle. Elle tente de se concentrer sur cette foutue couche, la gamine la regarde avec ses yeux bridés qui font minent de ne rien comprendre. Elle lui glisse la couche sous son tout petit cul et se retrouve avec deux bouts. Deux bouts sans scotch. Bordel de merde, elle a mis cette foutue couche, ça oui, elle l'a mise mais à l'envers. Elle recommence tout à zéro. Le secouage. La levée par les pieds. La nausée et une clope, les cendres tombent sur son petit ventre tout rond et plein d'eczéma. Elle referme le tout, scotche le bordel, insulte la môme, va dans le frigo, se prend une bière, décide d'en finir avec cette histoire d'alloc et range la môme à la place du pack de vingt-quatre.

Elle ne l'aura embrassée qu'une fois, une seule fois ; le jour de la mise en bière.

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