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RECESSION, EPISODE 1

 

J’ai trouvé vendredi, vers midi, midi et quart, dans le gazon, un billet de 10 balles. 10 euros en vérité, mais 10 balles, ça me rappelle le temps où on avait de l’argent. Et même si pas forcément, le temps où on pouvait croire qu’on en avait. Là. Maintenant. Le doute n’est plus permis. Mais c’est un autre sujet. 

 

Donc, ce beau billet fraîchement imprimé, que j’ai pris de trop loin pour un bifton de 50 et qui, l’espace d’un instant a fait s’emballer mon cÅ“ur, heureuse puis déçue, je l’ai glissé dans ma fouille. C’est le nouveau tirage, il ressemble, comme les autres, à de la fausse monnaie. Mais comme c’est de la vraie, j’ai commencé à me demander ce que j’allais me payer avec ce beau billet de 10 balles ! Suffisait pas de payer le pain, les clopes et 3 carambars. Surtout qu’y a 15 jours, j’ai laissé un chicot sur le bonbec en question et le devis de 450 balles a séché mon livret A. Donc, le pain, les clopes, ça fait 8,50. Reste 1,50. A la boulangerie, le gland est à 2,80. L’éclair, 2,50. Qu’est-ce que je pourrais bien m’offrir avec la monnaie ? C’est compliqué de dépenser du fric tombé du ciel, imagine un peu si ça avait été 50 balles ! Imagine un peu comme je me serais arrachée les cheveux ! Heureusement pour moi, c’est que 10 balles ! 

 

Alors 10 balles, c’est quoi ? 

Grosso modo, ce que je gagne en 1 heure.

Et là !

Paf !

Bingo !

Youpi !

Eureka !

Comme tu veux ! 

 

Samedi très tôt, j’étais dans ma petite auto et je grommelais toute seule et pendant ce temps, quelqu’un chantait dans le poste et ça braillait plus que ça ne brillait. Comme c’était assez fort, le son, je répétais « d’jà qu’j’bosse le samedi et qu’ça m’fait chier ! » en passant devant les volets fermés des fainéants et des assistés. Je voulais klaxonner, bah oui, bosser le wikend, c’est de la maltraitance !

 

POUET POUET ! 

TUT TUT ! 

 

Mais je me suis retenue, j’ai pensé qu’y avait p’t’être des vieux ou des bébés qui pionçaient. A la place, je me suis grillée un clope, carreaux grands zouverts et la fumée je la crachais dangereusement par la fente. Bordel ce qu’elle est bonne la première cigarette ! Dans la matinée, j’ai décidé d’aller toucher 2 mots à mon boss. Dans le couloir qui mène à son bureau, au fur et à mesure que je posais mes pieds pour avancer, le couloir est grand, faut bien faire 50 pas, j’ai commencé à ressentir de la peur. De la peur. BOUM BOUM s’est mis à faire mon cÅ“ur.

 

TOC TOC

 

J’entre et je lui explique que j’ai trouvé hier, vers midi, midi et quart, dans le gazon, un billet de 10 balles. Que ça me rappelle le temps où on avait de l’argent. Et même si pas forcément, le temps où on pouvait croire qu’on en avait. Mais que là. Maintenant. Le doute n’est plus permis. 

 

Il n’a pas trop le temps de papoter, il veut savoir rapidement ce que je veux. Faut le comprendre, c’est le patron ! Je lui dis que ce serait vraiment chouette si je pouvais, avec ce billet, me payer une heure de temps libre. Que ça restera entre nous. Je lui file les 10 balles et une heure plus tôt, je me tire ! Dis comme ça, je vois pas le problème ! Lui, si. Il peut pas il a rendez-vous il doit partir tôt bla bla bla je sais pas quoi j’écoute déjà plus. 

 

Je repars, un peu triste, j’avais rien prévu, pas de rencard, non, juste une heure pour ma gueule à regarder assise côté conducteur, les gouttes de pluie faire la course sur le carreau. J’aurais écouté 4 morceaux de musique. Lu quelques pages. Tricoté 3 rangs. Et après ça, je serais rentrée. J’aurais rien dit à personne mais j’aurais eu 1 heure, juste 1 heure pour ma gueule. A 16 heures, comme c’était l’heure, j’ai fermé le bureau. Il était déjà parti, il avait rendez-vous et j’étais seule. Je suis montée dans ma voiture, il ne pleuvait plus.

 

J’ai mis le contact, j’ai ouvert le carreau et par la fente, en roulant, j’ai laissé le beau billet s’envoler. Ce n’était ni beau ni triste à regarder, une heure de liberté qui s’envole. 

 

(A la maison, les enfants m’attendaient, ils avaient préparé un jeu de société. Hôtel deluxe, ça s’appelle. Ils s’impatientaient. Avec la fausse monnaie, je les ai plumés. J’ai tout acheté, les cocotiers, les tours chinoises, les igloos. Tout. Ils étaient dégoutés ! La partie a duré 1 heure. Ça m’a fait penser à quelque chose mais je ne voulais plus y penser. Je leur ai dit de tout ranger et je suis sortie fumer un clope. Fallait que je me magne un peu, le dîner allait pas se préparer tout seul !)

 

RECESSION, EPISODE 2

 

 

Le carreau entr’ouvert, la sournoise petite fente a fini par avoir ma peau. J’ai passé le dimanche couchée à tousser comme une tuberculeuse. Rien à raconter. 

 

Lundi, la route était sublime. C’était la même depuis tant de matins mais il est arrivé, cette fois, quelque chose de beau. A hauteur du cimetière, une nuée d’oiseaux, que j’aime à croire sauvages, s’est envolée, a virevolté au dessus de ma petite auto et, dans le rétro, en m’éloignant, je l’ai vue, la nuée, se poser, atterrir, doucement. C’était comme une danse parfaitement synchronisée et chaque petit moineau savait parfaitement le mouvement qu’il devait exécuter. « C’est docile un piaf » j’me suis dit en crachant la fumée par l’entrouverture de la fenêtre. Après, j’ai toussé. 

 

Et puis, toute la journée, j’ai toussé. 

TEUF TEUF

 

Et puis aussi, j’ai craché dans un mouchoir à fleurs. 

RATPEUH

 

J’ai même pas essayé de partir plus tôt. Le médecin ne pouvait pas me recevoir avant jeudi, onze heures et quart. Mais le jeudi, à onze heures et quart, tu penses bien que je bosse. Et puis, on est lundi d’ici à jeudi, je serai morte si ça se trouve. La toux tue.

 

A dix-huit heures, j’ai tout fermé, mis le répondeur et l’alarme. La main sur le front disait que vraisemblablement non, je n’avais pas de fièvre. Je suis rentrée à la maison. A hauteur du cimetière, les oiseaux ne dansaient plus. Je n’ai pas mis de musique. J’ai écouté le silence et la persistance de ma toux. 

 

La croix verte clignotait et de très loin, je la voyais. J’ai garé mon auto avant d’entrer dans la pharmacie. 

 

-Bonjour Madame. 

-Bonjour Madame. 

 

Echange de courtoisies diverses et variées. Comment vont les enfants ? Et votre mère ?Bla bla bla bla bla enfin tu vois quoi ? (Je te dis tu, ça te déranges pas ?) Bref, venons-en au cÅ“ur du problème. 

 

-Qu’est ce qui vous emmène ? 

-Une toux ! 

-Ah oui ! qu’elle me dit. En ce moment, qu’est ce qu’ils toussent. Le mieux, qu’elle me dit, en cas d’absence de fièvre, c’est les suppos ! C’est le cas ? 

-De quoi ?

-Bah ! Ils ont de la fièvre? 

-Qui ? 

-Bah ! Vos enfants ! 

-Ah ! Euh… Non. Non ! Evidemment, sinon je serais allée chez le médecin, tout de même ! (Tavu la mère modèle !)

-Voilà, c’est ça ! Donc un suppo matin et soir et une dose d’Exomuc en même temps ! 

-Ils ont quel âge ? 

-Qui ?

-Bah ! Vos enfants ! 

-Ah ! Oui, mes enfants ! Bien sûr ! 10 et 4 ! Mettez-en deux boîtes, pour être sûr. 

-Voilààààààààààà ! Donc, sept quatre-vingt-dix s’il vous plait !

-Et l’Exomuc ?

 -Alors sept-quatre-vingt dix et quatre quatre-vingt-dix, qui nous font douze quatre-vingt, s’il vous plaîîîîîît !

-Ah merde ! J’ai pas assez ! Nan, bin retirez l’Exomuc, j’en ai à la maison.

 -Alors, douze quatre-vingt moins quatre quatre-vingt dix, qui nous font sept quatre-vingt-dix s’il vous plaîîîîîîîît ! 

 

Mon beau billet de dix balles, que je n’avais pas jeté, pardon, je t’ai menti. (Je te redis tu, ça t’embête toujours pas ?) Mais quand même, tu t’en doutais, l’argent, on ne le jette pas par les fenêtres ! Ecoute le JT, écoute la récession, si t’as oublié que c’est la crise, Claire Chazal elle te le dit tous les soirs en te montrant nos beaux ministres sapés la classe qui nous demandent de serrer encore et encore la ceinture quand eux se bâfrent comme des salauds ! Qu’est ce qu’ils sont beaux nos ministres ! Ça doit être super bien comme boulot quand même. Mais c’est un autre sujet. Donc, mon billet, il est tout plié dans mon porte-sous, il rêvait sûrement d’une autre destiné, le pauvre. Il a l’air tout triste quand je le tends à la dame. Je voudrais l’embrasser, lui demander pardon, mais je crains de passer pour une folle. Déjà que. Bon. Tu vois quoi !

 

-Voilà, deux dix pour vous, qu’elle me dit, en me tendant mon petit pochon avec mes vingt suppos dedans !

 

 (Après ça, fallait acheter le pain. La baguette est à quatre-vingt-cinq centimes. Reste un vingt-cinq. Mais à quoi bon. En rentrant, je regarde l’emballage. Sur la boîte, il est écrit « Enfants de plus de 30 mois à 15 ans ». J’en ai 34. Je sors 3 suppos de la boîte, baisse ma culotte en toussant. M’en enfile 2 directs dans le cul, coupe la moitié du troisième. Et hop ! Direction la lune. Bref. J’ai trouvé vendredi, vers midi, midi et quart, dans le gazon, un billet de 10 balles, avec, je voulais m’offrir une heure de liberté mais devine où je me la suis mise, mon heure de liberté ?) (ps : tu peux répondre si ça t'amuse !)

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