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Prélude à la crise. épisode 1

(janvier 2013)

 

 

Je me souviens précisément du moment où tout a dérapé. Tu voulais un chien, un second chien, quand je voulais la paix, le silence à l'intérieur. Je me souviens de tes arguments pour me convaincre. « Ã‡a nous fera du bien, un nouveau chien ! Â» Mon cul ! Comme si un animal pouvait faire du bien à quelqu'un qui est déjà au bout d'une laisse. Tu sais, comme ces couples qui font un bébé pour recoller les morceaux, un bébé joint de culasse. Non, je ne rêvais pas secrètement de nettoyer les excréments de ton second clébard. Non, je ne souhaitais pas découper des petits trous dans le slip de ma fille, des petits trous fait aux ciseaux destinés à accueillir la queue de la dite-chienne pendant sa période menstruelle. Non, je n'avais pas envie de me lever la nuit quand ce même animal aura envie de pisser. Parce que toi, la nuit, tu dors et que tu n'entends rien. Non, non et définitivement non. Et pourtant, oui, pourtant, tu me l'as ramené à la maison. Tu m'as demandé comment on allait l'appeler. Je t'ai répondu qu'on ne l’appellerait pas. Tu m'as dit que c'était l'année des « F» et que par conséquent, il fallait choisir autre chose. J'ai suggéré « Foumoil'camp ! Â» tu as dit non ! Je t'ai dit de te démerder mais tu as encore utilisé ton droit de véto. -Vétorinaire ! Comme à ton habitude, tu n'as pas pu t'empêcher de faire une mauvaise vanne. Finalement elle s'appelle Fifille, c'est laid, c'est débile, c'est parfait. De toute façon, cette chienne, je ne l'aime pas et quand tu n'es pas là, je la baptise comme je l'avais décidé et crois-moi, elle se reconnait parfaitement !

 

Nous sommes de trop dans cette maison, trop d'humains, trop de chiens, trop de bruit, trop de tout. Trop de toi surtout. Je fais semblant de ne pas te voir, de ne pas t'entendre et souvent je me dis que se ne sont pas les chiens qui me dérangent le plus, souvent je me dis que les chiens à côté de toi c'est rien. Les chiens au moins se taisent, les chiens ne changent pas leur caleçon, chaussettes, pantalon, maillot tous les jours, les chiens mangent les restes et ne demandent pas ce qu'on mange vers dix-huit heures. Les chiens ne me crachent pas leur fumée de cigarettes à la gueule quand j'essaye justement d’arrêter. Les chiens ne laissent pas de traces infectes au fond de la cuvette. Les chiens me donnent moins de fil à retordre que toi. Au moins avec un clébard, tu sais à quoi t'attendre. Entends-tu seulement quand je te dis que je suis à bout de tout ? Entends-tu cette détresse et cette envie de me casser loin, si loin que jamais tu ne me retrouveras, même à l'aide d'un foutu chien pisteur ? Tu ne m'en crois pas capable, je le sais, mais méfie-toi mon chéri, je t'assure que cette fois, je ne plaisante pas ! Si je pars, c'est sans rien, sans vous, sans eux, sans vêtements de rechange, sans pastilles pour la gorge, sans applicateurs de tampons. Je partirai à pied, je marcherai longuement, je ne prendrai pas de nationale, je ne prendrai pas de chemins de traverse. Je partirai isolée de tout et je marcherai longtemps. Je prendrai la route sans chargeur de portable, sans lecteur MP3, juste un sac de livres, tout ceux qui s'entassent depuis des années et que je n'ai pas encore lu, parce la pile de repassage menace de s'écrouler et que dans la vie il y a des priorités.

 

Je décide de jouer ma dernière carte, je vous laisse une ultime chance, celle de vous rattraper. Une faveur à chacun : au petit de dix ans, de retourner ses chaussettes pleine de terre avant de les mettre dans le panier de linge sale, à la gamine de quatre ans d'utiliser ses jambes pour marcher parce que le dos de maman menace de céder, au grand de quarante ans de mieux chercher le balai ! Promis, ça n'est pas une partie de cache-cache mon chéri, le balai existe pour de vrai dans la réalité des ménages ! Je ne suis pas exigeante, je ne place pas la barre haute, j'ai conscience du défi à relever. J'imagine que j'ai encore de l'espoir aussi. Depuis toutes ses années, vous vous êtes reposés sur moi, quand je dis reposés, je pense affalés, vautrés même. Je dis vous, mais tu le sais, je pense tu. Je dis vous pour ne pas te froisser. Je suis au bout, au bout du rouleau, au bord de la crise et il n'y a personne, ni à gauche, ni à droite, pour me renverser quand je m’apprête à traverser. Je voudrais tant un trente-trois tonnes, un camion benne, une bicyclette à vive allure fera l'affaire. Des ecchymose, une jambe dans le plâtre, une hospitalisation, même une crise de colique néphrétique me comblera. Je veux me casser d'ici. Il faut que je me barre et vite.

 

La crise d'arachide, épisode 2

(janvier 2013)

 

Mais pour l'heure chose promise, chose due, je vous laisse votre chance. A toi le sale gosse, en digne pacha, tu as pris l'habitude que maman te fasse tout. Dis-toi qu'à présent c'est de l'histoire ancienne. Je ne te surprendrais plus affalé sur le canapé, une main sur les roupettes et l'autre sur la zapette. Il ne manque au tableau que la bière en canette et le portrait sera complet. -Mon dieu, qu'ai-je créé ? Cette question n'aura plus lieu, plus jamais sous mon toit. Tu me fais honte parfois, tu ressembles tant à ton père. Vous me faites peur, on dirait des ours. Toi l'imberbe, le jeune ourson mais soyons honnête, même un gentil nounours, je ne m'y frotterai pas ! Pour l'heure, tout ce que je te demande c'est de retourner tes foutues chaussettes avant de les mettre dans le panier de linge sale. Oui fils, oui, tu sens mauvais des pieds. Autant, petit garçon je les ai embrassés, sentis, caressés. Autant là, désolée mais ça ne va plus être possible. Fils comprends moi, il faut que ça cesse. Je retourne tes foutues chaussettes tous les soirs. Elles sont moites de sueurs et ça m'écoeure. Le sable vole et s'étale sur le sol et dans la paille du panier et dans ma bouche et mes cheveux. Je râle. Je peste. Je nettoie. Je vais dans ta chambre et je ramasse tes caleçons, tes foutus caleçons et leurs merveilleuses traces de pneus ! Merde fils, c'est quoi la marque de tes freins ?

 

J'ai profité d'une mauvaise note, un B-, pour te punir ! Un après-midi entier à retourner des chaussettes sales, celles de ton père et les miennes, autant dire que ça ne rigole pas ! Pendant ce temps, je me commandais six paires de chaussures sur Sarenza. Je n'avais besoin de rien mais comme ma carte bancaire est en paiement différé et que le retour est gratuit, je ne pouvais pas passer à coté de ça ! Je t'entends encore me maudire, j'entends les insultes qui se heurtent à la chair de tes joues, que tu voudrais cracher mais que tu retiens parce que je t'ai appris le respect. Je sais c'est injuste mais tu vas comprendre ce que je subis, et pire encore, parce que crois-moi, les chaussettes de ton père, c'est pas de la tarte et là chéri, y en a une bassine pleine ! 

 

Je ne comprends pas comment on en est arrivé là, toi et moi. Tu m'as souvent amusé petit. Tu m'as souvent fait marrer aussi. Quand tu faisais le pitre, l'andouille, je t'appelais ma Cacahuète, ne me demande pas pourquoi, mais ce surnom t'allait bien. La sonorité, je pense. Le surnom a fatalement muté en diminutif et pendant plusieurs années, je t'ai appelé « Caca Â» jusqu'à réaliser que ça n'allait pas le faire, ni pour toi, ni pour moi ! C'est arrivé un jour devant l'école, ça ne s'est pas fait seul. Tu avais entre six et neuf ans (vous m'épuisez je t'ai dit, ne me demande pas d'être plus précise) et tu avais une amoureuse. Je me souviens t'avoir demandé si elle était jolie et tu m'as répondu -oui et même qu'elle a les yeux pas de la même couleur ! Maman a voulu voir la créature qui faisait vibrer l'écorce de sa cacahuète ! Je me souviens m'être pointé devant l'imposante grille en fer de ton école, je me souviens ma tête de fouine et mon nez retroussé, scrutant l'horizon, lorgnant les mômes tous, un par un, dans les yeux et ma déception, mes petits soupirs quand je réalisais la banalité de leur regard. (avec du recul, je pense qu'on a du me prendre pour une malade !) Et paf ! Nez à nez avec La Créature ! La David Bowie de la cours de récréation. 

 

-Caca ! Elle est là ! Cacaaaa ! 

 

Six mois, tu as mis six mois, à me pardonner ! Je te comprends remarque. Mais bon, quelle idée d'aimer un chien. Et un husky en plus ! Tu aurais pu t'amouracher d'une fille normale, regarde ton père et prends exemple ! 

La crise de mère, épisode 3

(janvier 2013)

Quant à toi ma Pépètte, ma jolie Miss Bouclettes. Range ta malice et tes yeux délicieux pour les hommes que tu voudrais entourlouper plus tard. Maman n'est pas une jument, comprends-le ma chérie.Tu es si petite, je ne peux t'en vouloir mais j'attends quand même de toi que tu montres l'exemple, sois irréprochable, sois solidaire, sois une femme ! Surtout que, bourrique, je le sais, je te vois, tu n'es pas cul-de-jatte quand il s'agit de faire l'andouille ! Je te surveille toi aussi quand je vais voir les chiens de traîneaux faire du gringue à ton frère. A la sortie de l'école, quand l'épaisse porte d'acier s'ouvre pour faire place aux mamans et que déjà tu tends les bras pour que je te porte. Machinalement, je t'offre les miens, chacun de mes gestes est devenu un automatisme, retourner les chaussettes, porter ton corps lourd de sa journée, supporter le mien et passer le balai. Je laisse ma vie défiler sur l'écran quarante-six pouces que papa vient d'acheter, je regarde Dora plutôt que mes émissions et cède à vos tentations à chaque occasion. Je me vois faible et inutile, néfaste à votre équilibre et réciproquement. 

 

Pourtant je le fais encore et encore. Et pire encore, je me marre de la situation, quand tes yeux ronds tu tournes et agites dans les miens, quand les larmes tu retiens quand mes bras je te tends. Je te porte et j'oublie le craquement de mes lombaires. J'omets les détails, je néglige les messages de mon corps, je te dis oui, à tout, sans vergogne ma chérie. Tu sais me parler mieux que quiconque malgré ton vocabulaire limité. Tu utilises des mots cachés, des mots oubliés, ceux de l'amour, celui qui subsiste, le seul qui me parle encore, celui de la mère que je suis. Dans quelques années, j'entrevois la possibilité de refuser mais pour l'heure, j'oublie la douleur et je te porte. Mais mettons-nous d'accord, à partir de lundi, tout ça, c'est fini. 

 

Le portail s'ouvre, David Bowie passe à coté de moi et baisse la tête, les mères de familles chuchotent, ton frère me fait encore la gueule et tu tentes une énième tentative de soumission. Je dis non, je dis non et je tiens bon. Tu cries, tu pleures et finis par hurler. Les chuchotements s’accélèrent, les yeux ronds se propagent aux dignes mamans autour de moi. Je ne cède pas et même quand tu t'allonges par terre, sous la pluie et que tu refuses de marcher, je résiste. Je te prends par le bras, tout petit et fin et je le traîne. Je prends le chemin de côté et t'épargne le bitume. Ton ventre traverse le gazon, ton petit ensemble rose est à présent bicolore kaki/rose et ta bouche est pleine de terre. Les mères médusées regardent la scène en 3D. Ma réputation n'est plus à faire, il ne lui manquait que cette humiliation suprême et définitive. Le garde-champêtre fait traverser les enfants et je me vois mal te traîner sur les passages cloutés. Je te dis de te lever, je te dis que ça suffit, je te dis s'il te plaît ma chérie, fais plaisir à maman. Je pleure devant ce fonctionnaire territorial au képi bleu marine qui me regarde incrédule. Tu finis par te lever et je me dis que tu aurais dû rester allongée. Tu me souris, fière de ta connerie et de l'affront que tu viens de me faire. Tu dis -po'te maman, po'te ! et je craque. Je te prends sous le bras en faisant en sorte de ne pas me salir, mon bras sous ton ventre, j'empoigne ton flan et tu te retournes. Tes pieds plein de terre m'arrive dans la gueule et laisse une empreinte sur ma joue, une trace de boue dégueulasse ! Je transpire à grosses gouttes et tu ries en retour sale môme ! Je sens les baleines de mon soutien-gorge humides et la sueur couler sous mes seins et sur mon ventre. Tu te marres et je sers les dents. Je t'enfonce dans le siège auto, je sers la ceinture de toutes mes forces en te regardant bien dans tes yeux ronds que tu n'abaisses pas et tu me dis que tu m'aimes. Sale môme j'ai dit !

 

Crise-crate, épisode 4

(novembre 2014)

 

Alors finalement, tu vois, je suis restée. Je dis tu, mais je pense vous. C’est un peu facile d’exiger des autres ce que soi-même on est pas capable de donner. Parce que j’ai mes défauts, moi aussi. Ils sont certes moins nombreux que les vôtres, mais quand même, ils sont là. Par exemple, je gueule. J’arrête pas putain. Entre ça et ma grossièreté ! Je ne sais pas commencer une phrase sans dire putain. Et pour la finir, c’est pareil. Bordel, c'est fou d'être comme je suis ! Bon, remarque, ça va, toi aussi t'en dis hein ! 


Le pire de moi, c’est quand dans mon coin je commence à écrire. Suffit qu’y en ait un qui rentre, plus tôt que prévu ou même à l’heure, suffit qu’il parle, suffit qu’il respire, pour que je l’envoie bouler. Si il bouffe une biscotte, je t'explique même pas dans ma tête le vacarme que ça fait ! Les biscottes, c'est simple, y en a pas chez moi. J’y peux rien. Je supporte à peine ma respiration quand j’écris. Remarque, quand je lis, c’est pas mieux. 


J’ai failli partir, c’est vrai. Tout quitter. Recommencer ailleurs. Et puis quoi ? J'aurais fait quoi sans mon Caca ? Il a oublié son petit husky, tu penses, depuis le temps et puis aussi, il m’a pardonnée. Il m’a dit qu’il m’aimait. Deux-cent-seize fois, j’ai compté. Il faudra un jour que je lui apprenne à se raser, comme un homme. J’ai essayé, pour m’entrainer, ça repousse dur, c’est con. Pis ça m'a collée des boutons plein la gueule, comme si j'avais bouffé trop de charcuterie ! 


Pis Bouclettes, elle sait enfin marcher mais elle sait pas encore se torcher toute seule. Faudra que je lui apprenne à danser, à rire sans se cacher, à pas avoir honte d’être une femme, comme j’ai eu honte, moi. Pis quand elle aura ses règles, le plaisir que ça va être, de lui coller sa dernière torgniole ! J’ai presque hâte. Avoir une fille, c'est comme avoir sa cuillère de miel tous les soirs. Comme si la vie était une longue angine et ta fille, le seul remède. 


Nan, vraiment, mes lardons, je vous aime trop pour me barrer. Pis Doudou d’amour, il a trouvé le balai et même la pelle qui va avec. Il a des défauts mais quand même, y a pire. Y aura que ma soeur pour rire de celle-là mais tant pis, je la fais quand même ! "Hein dis chaton, il aurait pu trainer les bistrots !" Bon, du coup, comme j'ai dit que je restais, c’est lui qui gueule quand je bois ma bière, lové dans mon canapé. Ah t’as voulu que je reste, bin viens pas te plaindre maintenant !  C'est vrai ! Qu'est ce qu'on est bien. A rien foutre. Avachie comme un pull passé trop de fois dans le tambour du sèche-linge. Y a une petite tâche, à côté du meuble en formica, tu feras gaffe, ça fait dégueulasse ! Me manque plus qu'une grosse paire. Tu veux que je t'en ouvre une, le temps que tu termines de passer la serpillère ? 

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